Taxation mondiale sur les ultrariches : « Ce que nous avons réussi pour les multinationales, nous devons le faire pour les grandes fortunes »

Le Monde, 14 mars 2023. Une centaine d’eurodéputés et plusieurs économistes, parmi lesquels Joseph Stiglitz, Aurore Lalucq et Gabriel Zucman, appellent, dans une tribune au « Monde », l’OCDE et l’ONU à instaurer un impôt international progressif sur l’extrême richesse.

Tribune. Alors que, depuis 2020, les 1 % les plus riches ont capté près des deux tiers de la richesse produite, l’extrême pauvreté a augmenté et les salaires de près de deux milliards de personnes ne parviennent toujours pas à suivre le rythme de l’inflation.

Concrètement, parce que des chiffres valent mieux que de longs discours, en 2018, Elon Musk, alors deuxième homme le plus riche du monde, n’a pas payé un centime en impôts fédéraux. Jeff Bezos, non plus, n’a pas payé d’impôts en 2007, ni en 2011. En France, pays pourtant réputé pour son niveau élevé de taxation, les 370 plus riches familles ne sont effectivement taxées qu’autour de 2 % à 3 %.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Tout simplement parce que les grandes fortunes peuvent user de montages fiscaux élaborés pour réduire à la portion congrue leur taux d’imposition, ce que ne peuvent faire les ménages lambda, mais aussi parce que les pays ont progressivement délaissé la taxation sur la fortune et le capital. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle qui prévaut entre multinationales et PME. En moyenne, le taux d’imposition des PME en Europe dépasse les 20 %, quand il stagne autour des 9 % pour les multinationales du numérique par exemple.

Injustices fiscales, économiques et environnementales

D’ailleurs, face à cette injustice et à cette rupture d’égalité, un accord mondial sur la taxation minimale des multinationales a été élaboré sous l’égide de l’OCDE. Il sera effectif à l’échelle européenne grâce à une directive définitivement adoptée à la fin de l’année 2022.

Ce que nous avons réussi à accomplir pour les multinationales, nous devons désormais le faire pour les grandes fortunes.

Sur le modèle de cet accord, il est aujourd’hui nécessaire d’aboutir à un accord sur la taxation des plus hauts patrimoines, afin de mettre un terme à des années de course au moins-disant fiscal et de lutter contre les injustices fiscales, économiques et environnementales qui en découlent.

Notre proposition est simple : instaurer un impôt progressif sur la fortune des ultrariches à l’échelle internationale afin de réduire les inégalités, tout en participant au financement des investissements nécessaires à la transition écologique et sociale. Nombre de propositions existent en ce sens, parmi lesquelles celle d’une taxation à 1,5 % à partir d’un patrimoine de 50 millions d’euros. Il nous reviendra de décider collectivement et démocratiquement du niveau juste et adéquat de cet impôt.

Cette taxe pourrait être mise en œuvre à l’échelle européenne grâce à une « exit tax » appliquée, dès à présent, par un groupe de pays volontaires. Sa mise en place pourrait aussi être décidée au niveau des Etats-Unis. Le président Joe Biden a d’ailleurs envoyé un message clair sur la nécessité de justice fiscale, lors de son dernier discours sur l’état de l’Union.

La création de cet impôt nous paraît être la seule voie possible face à un niveau d’inégalités devenu intenable d’un point de vue social, inefficace d’un point de vue économique et insoutenable d’un point de vue écologique, puisque les 1 % les plus riches émettent plus d’émissions de CO2 que la moitié la plus pauvre de la planète. D’ailleurs, des millionnaires réclament eux-mêmes d’être plus taxés : « La solution est évidente pour tous. Vous, représentants mondiaux, devez nous taxer, nous, les ultrariches, et vous devez commencer maintenant. »

A tous ceux qui disent que c’est impossible, nous répondons que nous avons réussi à mettre en place un impôt minimum global sur les multinationales, quand tout le monde répétait que ce n’était pas possible. C’est pourquoi nous appelons les institutions internationales, telles que l’OCDE et l’ONU, à lancer un cycle de négociations portant sur la taxation de l’extrême richesse, ainsi que l’Union européenne à œuvrer, à travers sa Commission et son Conseil, à l’aboutissement de ces négociations dans les meilleurs délais.

Auteurs de la tribune : Aurore Lalucq, députée européenne, et Gabriel Zucman, économiste.
Premiers signataires : Biljana Borzan, députée européenne (Alliance progressiste des socialistes et démocrates au Parlement européen, S&D, Croatie) ; Lucas Chancel, économiste ; Rebecca Gowland, directrice internationale de l’ONG Patriotic Millionaires ; Pedro Marques, député européen (S&D, Portugal) ; Kira Peter-Hansen, députée européenne (Groupe des Verts/Alliance libre européenne, Danemark) ; Ann Pettifor, économiste ; Joseph Stiglitz, économiste ; Paul Tang, député européen, président de la sous-commission des affaires fiscales (S&D, Pays-Bas) ; Irene Tinagli, députée européenne, présidente de la commission des affaires économiques et monétaires (S&D, Italie) ; Ernest Urtasun, député européen (Groupe des Verts/Alliance libre européenne, Espagne).
La liste des signataires est disponible sur le site : https://www.callforfairtaxation.com